N’y a-t‘ il rien à dire à propos de l’histoire de la Suisse et des Suisses pendant la Première Guerre Mondiale ? Les études historiques sur cette période ont été modestes comparés aux efforts déployés pour d’autres époques. À l’heure de la commémoration du centenaire de l’ouverture de la Guerre de 1914 dans les pays jadis belligérants, il semblait nécessaire de porter une attention à ces années de crise et aux répercussions du premier conflit mondial en Suisse.

Il est bien évidemment possible d’évoquer de nombreux aspects déterminant la Suisse de cette époque. On connaît évidemment l’épisode de la mobilisation qui devait marquer durablement les esprits et la grève générale de novembre 1918. Ces années de guerre furent sombres et chaotiques pour le pays. La Confédération resta certes sur sa position de neutralité mais nombreux furent ses ressortissants qui ne le demeurèrent pas et qui décidèrent de s’engager dans les armées françaises ou allemandes. À l’étranger également, les expatriés helvétiques, presque trois cent quatre-vingts mille femmes et hommes avant 1914, furent touchés par le conflit qui balaya l’Europe. Des colonies britanniques, ils furent quarante mille hommes à rejoindre le pays, abandonnant derrière eux femmes et enfants, traversant parfois le monde pour rejoindre leur patrie, avec dans la poche leur ordre de marche reçu du consulat.

Dans les pays en guerre, les communautés suisses survécurent tant bien que mal, suffisamment mal pourtant pour que le Comité central pour les Suisses nécessiteux rédige un appel en 1915 afin de leur venir en aide. Les hommes, rappelés au pays pour rentrer sous les drapeaux ou préférant s’engager dans les armées de leur pays d’accueil, étant absents, ce furent les femmes, les enfants et les vieillards, qui constituèrent le plus souvent les rangs de ces communautés helvétiques de Paris ou de Bruxelles, soutenues à bouts de bras par les légations suisses. En 1915, les ressortissants suisses de l’étranger furent tellement nombreux à s’engager dans les armées en guerre que la Confédération songea à prendre des dispositions législatives pour les en empêcher. La presse d’alors cite sans défaillir au cours de toutes ces années de guerre les Suisses tombés sur les champs de bataille dont les noms lui parviennent.

La guerre allait montrer également toute sa laideur au cœur même de la Suisse, puisque c’est par elle que plusieurs milliers de prisonniers tant civils que militaires passèrent pour regagner leur nation. La position géographique de la Confédération par rapport au conflit offrait un avantage considérable pour se déplacer rapidement et en toute sécurité de l’Allemagne à la France ou à l’Italie. Les autorités helvétiques créèrent d’ailleurs très rapidement le Bureau de rapatriement des internés civils, qui fonctionnait déjà le 22 septembre 1914. Des convois remplis de soldats blessés, toutes origines confondues, transitèrent également par le territoire de la Confédération. Certaines de ces victimes furent accueillies dans les hôtels désertés par leur clientèle et transformés en hôpitaux de fortune, une industrie du tourisme qui aurait été sans doute anéantie par l’absence de vacanciers durant la guerre sans cette reconversion humanitaire financée par les États belligérants respectifs.

La guerre allait profiter à certains qui surent en faire une ressource soutenant l’économie vacillante de la Suisse. Des personnes tels Jules Bloch dont le train cheminait sans cesse de Bienne à Genève, chargé de fusées d’obus fabriquées par les horlogers neuchâtelois à destination des artilleurs français, ou Marc Birkigt qui allait produire un moteur d’avion au sein de son entreprise Hispano-Suiza permettant à la chasse française de dominer le ciel. Des activités suivies attentivement par les services de renseignements étrangers comme laMetallum, une société créée en Suisse par l’Allemagne, devant officiellement faciliter les transactions industrielles entre les deux pays, mais qui employait de nombreux agents de renseignements actifs dans l’espionnage politique et commercial.

La guerre devait en effet créer un phénomène nouveau en Suisse, l’espionnage qui se développa comme une traînée de poudre de Bâle à Genève, de Zürich à Lugano, impliquant aux côtés d’agents étrangers un grand nombre de confédérés.

par Christophe Vuilleumier

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